Un Phénomène Culturel
La Russie, pays du thé ? Si le thé est la 2e boisson consommée dans le monde après l’eau, il bénéficie d’un statut particulier en Russie comme au Royaume-Uni, du fait de ses origines très anciennes. Il s’est imposé au fil des siècles comme une véritable institution.
Le Samovar
Les britanniques ont la kettle (bouilloire), les russes le samovar (littéralement «qui bout soi-même »). Ce récipient en métal est parfois décoré avec de la porcelaine ou de la laque. Le samovar devient le symbole de l’art de recevoir à la russe et de la cérémonie du thé à partir du 18e siècle. Le système est complexe : l’eau, chauffée par un tube en cuivre, «chante», «bruisse» puis «ronfle»…une ambiance unique ! Une théière emplie de thé infusé et très concentré (appelé zavarka) est posée sur le haut du samovar pour être maintenue à la bonne température. Un robinet permet de verser à volonté un peu d’eau chaude dans sa tasse afin de diluer le thé concentré de la théière. Une version réduite du samovar pour une personne était surnommée «l’égoïste» !
Beaucoup de samovars ont péri pendant la 2e guerre mondiales, fondus et transformés en munitions. Si les braises ont fait place à l’électricité, le samovar garde son statut particulier: il est l’âme du foyer et le gardien des conversations. Souvent il apaisait les tensions et les conflits disparaissaient après quelques heures passées dans la cuisine ou le salon. A l’époque de la période sèche des années 80 (« suchoi zakon »), l’équivalent de la prohibition américaine, le thé était la boisson qui nous rassemblait tous, notamment pour les mariages ou les fêtes. A l’instar des russes, savourez l’instant !
L’expression « S’asseoir près du Samovar » suggère une agréable conversation en prenant le thé.
Autres accessoires et Accompagnements
Le rituel ne peut se passer du podstakannik — le sous-verre à thé — droit et stable dans son assise métallique à anse. En métal, il est utilisé dans les tavernes par les hommes tandis que les femmes le boivent dans des tasses de porcelaine à la maison. Au 19e siècle, les podstakanniki deviennent plus décoratifs. À l’époque soviétique, ils sont souvent ornés de symboles de l’URSS, comme la faucille et le marteau. Aujourd’hui, ils sont notamment utilisés dans les endroits élégants, lors des voyages en train, afin d’éviter que le thé ne soit renversé. Hercule Poirot, passager de l’Orient Express, l’avait bien compris ! Quant aux services à thé, précieux et décorés, ils nous font voyager dans les contes slaves, avec leurs fruits stylisés, les ornements d’églises orthodoxes ou des animaux fantasques.
En Russie, les accompagnements, notamment les pâtisseries, sont à l’honneur, depuis l’époque des marchands de thé. Sablés épicés, prianikis (pain d’épices) ou barankis (petits brezels russes) accompagnent le thé. Ma mère disposait également des confiseries chocolatées, pâtes de fruit, fruits frais (prunes, pommes, oranges…) ou de la confiture liquide de ma grand-mère (groseilles, fraises, framboises, airelles cueillies dans le jardin de la datcha…) pour sucrer / aromatiser le thé. Un vrai repas !
Le goût du thé russe
On ne présente plus le fameux thé au goût russe : un thé noir très fort et charpenté provenant de Chine. Un thé si puissant qu’on laissait fondre un sucre dans la bouche en le buvant. Selon la légende, ce thé corsé, héritage des caravanes arrivant de Chine, était adouci avec du miel ou des confitures. Agrémenté de zestes d’agrumes ou morceaux de fruits séchés, le « thé russe » comme nous le connaissons en Europe est, depuis le 20e siècle, un thé Darjeeling ou Ceylan (moins corsé), parfumé à la bergamote comme les thés Earl Grey. Sa couleur ambrée est à faire pâlir les cognacs les plus nobles. Son célèbre parfum est indémodable. Bonne dégustation !